- Écrit par Ennéad
Chemin sauvage
« Le faux amour n’est pas immortel comme le véritable ; son flambeau s’éteint avec celui du désir : nous oublions ses trompeuses douceurs, et nous ne gardons que le souvenir des chagrins cruels qu’il nous a causés. »
Louis-Philippe, comte de Ségur
En quittant la clairière, elle se retourna une dernière fois pour profiter de la belle lumière de l’aube, s’emplir les narines des odeurs délicates de ce coin de verdure, écouter une dernière fois le chant des martinets, qu’elle appréciait particulièrement au lever du jour. Elle avait salué, la veille au soir, ses hôtes les blaireaux, chez qui elle venait de passer plusieurs semaines. Elle avait repris du poil de la bête comme on dit, retrouvé son poids et la brillance de son poil digne d’une siamoise en pleine fleur de l’âge. Elle se sentait redevable de ce qu’elle venait de vivre auprès de Blaise, Guss et leur famille. Elle avait plus que nourri son corps, elle repartait tranquille, et rassasiée de partages, de rigolades et de saines confidences.
Elle avait choisi, il y a plusieurs années, de partir, seule, à l’aventure, de se confronter au monde et à la nature sauvage. C’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour reprendre contact avec ses besoins, ses pulsions et sa vraie nature. Retrouver le contact avec sa part « reptilienne », celle nécessaire à la survie même. Elle avait fait ce choix par dépit, se lançant dans cette aventure avec l’intention d’en finir, ou d’en revenir plus forte, et surtout plus libre. Il faut dire que la vie ne l’avait pas épargnée … À peine sevrée, déjà adoptée ! Une famille d’humain était venue la chercher très tôt dans sa vie, peut être trop tôt :
« J’ai pas compris tout de suite ce qui m’arrivait. J’étais blottie entre mes frères et sœurs, bien au chaud. Notre mère était là, et veillait sur nous. Un petit garçon est arrivé avec ses parents, m’a pris délicatement dans ses mains, après nous avoir observés un moment, et m’a caressée entre les oreilles. Ô que c’était agréable ! Je me suis tout de suite mise à ronronner et me suis calée dans ses bras. Je ne comprenais rien à ce qu’il me racontait, mais sa voix était calme et douce, et il sentait bon le savon. J’étais tellement bien que je me suis assoupie naturellement. En ouvrant les yeux, je n’ai rien reconnu. Mes frères et sœurs n’étaient plus là, ma mère non plus. J’ai miaulé, j’ai appelé, j’ai crié, mais personne n’a répondu.
Je suis restée un moment tétanisée, puis ai commencé à explorer, complètement apeurée, cette maison que je ne connaissais pas … les bruits étaient différents, les odeurs aussi. Je n’avais plus aucun repère, me sentais de plus en plus perdue dans ces grandes pièces qui sentaient le feu de bois. Des aboiements se faisaient entendre à l’extérieur et ne faisaient qu’attiser ma peur. J’ai cherché un endroit où me cacher et me suis blottie entre deux oreillers, sur un vieux canapé relégué au coin de ce qui devait être le salon, entre deux vieilles armoires normandes. J’avais une vue sur toute la pièce dans cette position légèrement en hauteur, ce qui me rassurait un peu.
Je ne savais rien de la vie, beaucoup trop jeune pour appréhender sereinement ce chamboulement, incapable de réfléchir, toute en émotions, j’aurai voulu disparaître dans un trou de souris. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine, je ressentais un manque profond, un manque inexplicable. C’était comme une déchirure intérieure, dont je ne connaissais pas la source, et qui me donnait presque envie de vomir. J’étais toujours blottie entre mes deux coussins, tremblante d’incompréhension, lorsque j’ai fini par m’assoupir, sans même m’en apercevoir. Réveillée, de temps à autre, par des soubresauts, ou par des bruits inconnus, la fatigue d’avoir tant peur m’emportait de nouveau dans des rêves bizarres. Tantôt, des grandes plaines herbeuses au milieu desquelles je me retrouvais abandonnée, perdue, ne sachant où aller. Tantôt, ma chute d’une branche d’arbre sur laquelle je me baladais, me retrouvant, quelques mètres plus bas, dans une eau glaciale qui m’avalait, m’aspirait vers le fond, sans que je ne puisse faire quelque chose.
Et puis d’un coup, un bruit sourd m’a réveillée pour de bon, un bruit de porte qui claque. J’ai entendu des pas qui courraient dans tous les sens. Je me suis aplatie encore plus entre mes deux gardes du corps molletonnés, sans faire attention que ma queue dépassait des coussins. Les bruits de pas se sont fait plus légers, se sont rapprochés, et j’ai entendu une voix douce, j’ai senti l’odeur du savon, et tout de suite me suis apaisée. Délicatement, le petit garçon m’a extraite de ma cachette en souriant, tout contant de sa prise, et m’a câlinée entre les oreilles et dans le cou. Je ressentais toujours ce grand vide, cette fracture, mais me raccrochais à ce petit bout d’homme, et à son parfum, devenu familier et rassurant. Les jours suivants, je ne trouvais de sérénité et d’apaisement que dans ses bras ou sur ses genoux. Sur le vieux canapé aussi, cette cachette improvisée était devenue mon antre, mon lit, mon refuge.
Dans les premiers temps, je préférais tout de même être sur les genoux de mon petit prince. À cet endroit, je pouvais dormir, m’abandonner à un vrai repos réparateur. Mais, un petit prince, ça bouge tout le temps, ça court, ça joue, ça ne reste pas souvent en place. Alors, je courrais après lui, jouais avec lui en cavalant derrière la petite balle qu’il me lançait. Même si j’étais fatiguée, cela valait mieux que de rester seule, alors, je faisais en fonction de ce qu’il souhaitait. Une fois la balle attrapée, je m’amusais un instant avec, puis m’étalais de tout mon long en le regardant fixement, la balle juste devant moi. Lorsqu’il s’approchait, je me dressais sur mes pattes, faisais le dos rond en sautillant de travers, ce qui le faisait beaucoup rire, puis regagnais à la vitesse de la lumière ma cachette sur mon canapé.
J’aimais bien ces moments de jeux avec lui, mais un petit d’homme, ça bouge tout le temps. Alors, quand il insistait pour continuer alors que j’étais lassée, je me cachais où je pouvais pour échapper à ce brouhaha fatiguant. Je faisais tout pour lui plaire, jouer lorsqu’il en avait l’envie, me lover sur ses genoux durant ses moments de calme, dormir sur son lit pour apaiser ses angoisses nocturnes, ronronner dans ses bras en absorbant ses mauvaises énergies. Ô que oui, avec ce que je lui donnais comme amour, comme attention, il aurait dû m’aimer autant que je l’aimais. Mais, la plupart du temps, il partait toute la journée, je ne sais où, avec un sac dans lequel il mettait des livres et des stylos. Je restais seule, alors, pendant des heures, cachée entre mes deux coussins, en attendant son retour. Seule avec ma déchirure, qui n’attendait que cela pour me brûler. Et quand je m’apaisais enfin, en fin de journée, le voilà de retour à sauter partout, voulant jouer avec moi, sans même voir que je ne souhaitais que ses bras et ses caresses, qui, seuls, parvenaient à apaiser ce manque que je ne comprenais pas.
Je le haïssais dans ces moments-là. Je miaulais et me débattais lorsqu’il essayait de m’attraper, me contorsionnant dans tous les sens pour échapper à mon bourreau. Plusieurs fois, je l’ai griffé à la main, planté mes griffes dans ses épaules, pour sauter à terre dans son dos et fuir. Je partais me cacher sous l’une des deux armoires normandes, tout au fond, contre le mur, et pouvais y rester des heures, prête à défendre coûte que coûte ma tranquillité. À ces moments-là, tout me semblait dangereux au-dehors de ma cachette. J’étais comme une furie, comme un louve violente et sanguinaire, défendant son territoire. Seule, sous mon armoire normande, je n’y restais finalement pas longtemps. Une fois ma fureur redescendue, la solitude refaisait surface, avec son cortège de douleurs.
Alors, je sortais de ma cachette, m’approchant de mon petit prince avec ma démarche féline. Je lui faisais les yeux doux, m’allongeant sur le sol comme une panthère, lascivement, faisant mine de ne pas le regarder. Puis, je me roulais sur un côté, puis sur l’autre pour attirer son attention, étirais délicatement une patte vers lui. Si cela ne suffisait pas, je prenais des postures dignes des plus grands maîtres yogis. Je voyais dans ses yeux qu’il était émerveillé de me voir faire, stupéfait par ma souplesse et par la grâce féline. Ô oui, que j’aimais voir Antoine aussi captivé et séduit par ma présence et mes postures. J’ai appris, au fur et à mesure du temps, à en jouer quand je souhaitais de l’attention. Je suis passée maîtresse dans l’art de charmer, sans même m’en apercevoir. Je ne pouvais vivre sans avoir son attention, et surtout, sans ressentir dans ses regards qu’il m’aimait, qu’il ne m’abandonnerait pas. Je ne supportais plus la solitude, je ne supportais pas de ne pas aimer, ni même de ne pas être aimée en retour, de ne pas être au centre des préoccupations de l’autre.
Un jour, j’ai compris qu’il allait à l’école tous les jours de la semaine, sauf le samedi et le dimanche, qu’il y était obligé. Cela m’a rassurée un peu. Alors, lorsqu’il était parti, pour ne pas rester dans ma solitude, j’allais ronronner dans les pattes de sa maman. Là encore, mes numéros de séduction fonctionnaient à merveille, la plupart du temps. Venir frotter mes moustaches sur ses jambes, me procurait énormément de bien et d’émotions. Je retrouvais presque les sensations qui me traversaient lorsque j’étais contre le ventre de ma mère. Ce doit être un truc de maman, ça, d’avoir ce pouvoir de rassurer. Et même si je le faisais plus pour marquer mon territoire, elle semblait prendre la chose comme une marque d’affection, et elle en était souvent très émue. Alors, peu importe, je continuais à le faire, malgré cette incompréhension, car je n’étais plus seule la journée. Je m’attachais donc à être attentive à ce qu’elle souhaitait, pour nourrir cette nouvelle relation naissante.
Voilà comment s’est déroulée ma prime jeunesse dans cette famille. Je courrais de jambes en jambes, de jeux en jeux, de genoux en genoux, retrouvais mon canapé et mes deux coussins de moins en moins souvent, pour mon plus grand soulagement. Tout occupée que j’étais à prendre ma place, à devancer les besoins d’Antoine ou de Brigitte, sa maman. Les jours filaient et défilaient, je devenais adulte, sans m’en rendre compte, tout en regardant le ventre de Brigitte s’arrondir lentement. Elle prenait de plus en plus de moment de repos, dans son fauteuil, au coin du feu, recherchait de plus en plus ma présence. Alors, je passais, comme elle, des heures près de l’âtre, blottie sur ses genoux, donnant cette présence câline dont elle avait tant besoin. Mes ronronnements l’apaisaient, je le ressentais bien. Je sentais aussi la vie se développer en elle, au fur et à mesure que son ventre s’arrondissait.
J’étais là pour elle, et dès que mon petit prince revenait de l’école, j’étais là pour lui. Jouer, l’aider à se calmer devant ses devoirs, lui apporter les câlins que sa mère lui donnait de moins en moins souvent, tout absorbée qu’elle était par son état. Je restais toujours sur son lit, au moment du coucher, jusqu’à ce qu’il s’endorme. Ma présence le rassurait autant qu’elle l’enchantait. Puis, une fois endormi, je descendais dans le salon donner à sa mère sa dose d’apaisement et de présence féminine qui lui manquait. La vie s’écoulait simplement, j’avais trouvé ma place et j’en avais oublié ma brûlante déchirure. Et enfin, le jour arriva, ce jour où Brigitte donna naissance à une jolie petite fille, qu’ils prénommèrent Louise. J’étais tellement émue par l’événement et par la bouille d’ange de Louise, que je n’osais l’approcher de trop près. J’étais portée par la joie de la maisonnée, heureuse que la famille s’agrandisse, tout comme Antoine, sous le charme de sa sœur. Un parfum de bonheur intégral flottait sur la famille et tous ses membres, dont je faisais partie à présent.
Le père, Pierre, était rarement là, occupé avec ses chiens qu’il élevait et entraînait pour des courses, si j’ai bien compris. Mon royaume était dans la maison, le sien, à l’extérieur. Mais, avec l’arrivée de Louise, je le voyais plus souvent et ai appris à le connaître. Un peu bourru et taiseux, il avait un côté sensible, et adorait les animaux. Il m’appréciait, sans plus, mais cela me suffisait. Les mois ont passé, défilé bien trop vite. Louise a grandi, Antoine jouait de plus en plus avec elle, Brigitte s’affairait en cuisine, en ménage, en éducation. Louise était turbulente, capricieuse et lunatique. Il fallait qu’elle attire l’attention, qu’elle capte les regards de tous. Je sentais ma place se réduire de jour en jour, reléguée à la peluche que l’on vient chercher lorsqu’on a besoin de tranquillité et de réconfort. Alors je réconfortais, j’apaisais. Ces moments étaient de plus en plus rares et de plus en plus courts. Et à chaque fois qu’ils s’arrêtaient, j’étais submergée d’une émotion froide et profonde de rejet, d’abandon. J’ai retrouvé ma cachette, sous mon armoire normande, seul endroit où Louise ne pouvait pas me trouver. Et ma déchirure se refit sentir, comme une marque déposée en moi au fer rouge, toujours aussi incompréhensible et sournoise. J’oscillais entre des périodes de rage profonde et de désespoir intense. Comment pouvaient-ils me délaisser après tout ce que j’avais fait pour eux ? Comment pouvaient-ils avoir oublié ce que je leur donnais comme amour ?
Je me suis enfoncée, peu à peu, dans l’isolement, ruminant une rage grandissante qui meublait ma solitude. Je finis par sortir de la maison régulièrement, pour fuir cet intérieur qui me rejetait, passant mes journées dans la cours, loin des chiens et loin des hommes. J’avais le cœur lourd, trompais ma solitude avec l’exploration des hangars, des champs et des haies à l’entour. Mais, on peut se tromper soi-même, on ne trompe pas la solitude, qui nous revient en pleine face quand on s’y attend le moins. Alors que je rentrais à la maison, un soir, toute la famille était au salon, installée autour de la table basse. Des paquets y étaient déposés, et Antoine les ouvrait les uns après les autres. Je m’approchais avec ma démarche féline, m’étirais les pattes avant et le dos pour attirer son attention, mais rien. Personne ne me voyait, ne me remarquait. Louise trépignait de ne pas avoir de cadeaux, Brigitte tentait de la calmer, pendant que Pierre aidait Antoine à monter un camion grue pour qu’il puisse jouer avec. Je m’approchais un peu plus, frottant mes moustaches contre la jambe de mon petit prince qui me poussa aussitôt. Je me frottais alors contre les jambes de Brigitte, déjà stressée par Louise, et je reçus un nouveau refus. Mon cœur était brisé, je souffrais le martyre de tant d’indifférence. Comment pouvaient-ils ne pas voir que je souffrais autant, que j’avais besoin de leur attention, de leur amour, de me sentir utile sur leurs genoux, dans leurs bras. Alors je me suis mise à miauler pour leur expliquer, pour leur crier mon désespoir, mon manque, mon amour et mon besoin d’amour. La seule réponse fut un coup de torchon qui m’effrayât à me rompre le cœur. Je courus me réfugier sous mon armoire, tremblante de peur et de colère. Je n’avais plus de place dans le cœur de personne. Seule mon armoire normande semblait encore m’accueillir. Je suis restée des heures dans ma cachette, blottie contre le mur, à espérer qu’Antoine vienne me chercher, à espérer que Brigitte m’appelle. Mais rien, tous sont allé se coucher sans une once d’inquiétude de ne pas me voir, sans une once d’attention pour me dire bonne nuit.
Une grande brûlure m’a envahit, cette déchirure, si longtemps restée à l’écart, revint me frapper les tripes à me fendre l’âme toute entière. Je n’avais plus personne, je tombais de ma branche sur laquelle je courais, et me retrouvais quelques mètres plus bas, dans l’eau glaciale d’une solitude profonde, qui m’aspirait vers le fond sans que je ne puisse rien faire. Au milieu de la nuit, j’étais toujours sous mon armoire, complètement vidée. J’ai tellement couru après les besoins des autres pour y répondre, que je ne savais même pas ce dont j’avais besoin, là, maintenant ; De quoi avais-je besoin ? Que voulais-je faire ? De quoi avais-je envie pour moi, là, maintenant ? Aucune réponse ne vint, m’aspirant encore un peu plus dans mon apathie.
Comme un appel, à deux heures du matin, alors que j’étais toujours en train de dépérir sous mon armoire, les chiens se sont mis à hurler à la mort, les uns après les autres, comme s’ils voulaient me tirer de ma torpeur. J’entendis Pierre descendre l’escalier, puis prendre son manteau, tout inquiet qu’il était pour sa meute. Je n’ai pas réfléchi, quelque chose m’a tirée, m’a poussée en avant. J’ai profité que Pierre sorte par la cuisine pour me faufiler entre ses jambes et gagner le hangar. Il n’a même pas remarqué ma fuite. À ma sortie, les chiens se sont tus, ils m’appelaient vraiment, sans doute. En passant devant le chenil, une fois Pierre rentré, le plus vieux des lévriers m’interpella : « Tu as l’air complètement perdue jeune fille. Ta boussole intérieure semble bien s’être déréglée. Si tu veux qu’elle fonctionne à nouveau, tu dois trouver ton nord. Va, quelle que soit la direction que tu choisisses, c’est sur le chemin que tu le retrouveras ».
Je l’ai remercié d’un signe de tête, sans vraiment comprendre ce qu’il me disait, et ai commencé mon pèlerinage. Je n’avais plus rien à perdre, le cœur vide, l’âme déchiquetée, je pouvais mourir ou trouver mon nord, peu importait, il me fallait juste bouger, m’éloigner, alors, je suis partie, sans but, sans espérance, sans rêve, mécaniquement, droit devant.
Je me suis confrontée à moi même, pas le choix dans cette vie de Bohême. Mon instinct de survie a été le premier à répondre à l’appel. Chasser, manger, dormir d’une oreille. Je ne savais même pas que j’en étais capable. Je n’ai fait aucune rencontre durant des semaines, comme si l’univers tout entier conspirait à me maintenir dans la solitude. Je me serais bien liée à un autre marcheur errant pourtant, pour avoir de la compagnie et retrouver un semblant de vie. Mais non, personne durant des semaines !
Et puis, j’ai commencé à apprécier un lever de soleil, par un froid matin d’hiver. Les couleurs étaient sublimes, propices à la rêverie. Et puis, un chant d’oiseau, léger et harmonieux, comme pour m’appeler à continuer. Puis, les flocons de neige qui jouaient avec le vent, blanchissant les ramures des arbres. Et de plus en plus de détails m’invitaient à m’émerveiller, à voir la vie danser sous mes yeux. J’ai appris de moi que j’aimais ces instants de contemplation, que la vie vibrait quels que soient mes états d’âme, quelles que soient mes blessures. À courir derrière les besoins des autres pour y répondre, et attendre l’amour en retour, je me suis coupée de ces instants, je me suis coupée de moi même, de mes besoins et envies. J’apprenais à les découvrir, à les aimer, j’apprenais que je n’avais pas besoin de l’autre pour danser au milieu de cette nature, pour danser ma vie.
Mon orgueil fut de croire que j’étais indispensable au bien être de mon petit prince, de sa maman aussi, alors que c’était eux qui m’étaient indispensables à me sentir aimée, et pour de mauvaises raisons en plus. Je leur en ai voulu longtemps de m’avoir oubliée si vite, alors que je vivais toujours chez eux, de ne pas comprendre ce dont j’avais besoin. Comment auraient-ils pu d’ailleurs, alors que je ne le savais pas moi-même. J’en viens même à regretter de les avoir aimés d’aussi mauvaises manières. C’est pour cela que je retourne chez eux aujourd’hui, voir où ils en sont et peut être, partager une nouvelle vie en leur compagnie, s’ils le veulent bien.
Le vieux lévrier avait raison, c’est sur le chemin que j’ai trouvé mon nord. J’espère le revoir, lui aussi, pour le remercier mieux que je ne l’ai fait à mon départ. Ce qui me fait retourner chez eux est, sans doute, la peur intense que j’ai ressentie en fuyant ce jeune loup blanc, dans les grandes forêts du nord. Cette expérience m’a montré la fragilité de ma vie, la nécessité de vivre de vraies expériences. C’est en prenant la responsabilité de mes propres besoins, que je peux, aujourd’hui, être en relation saine avec autrui. C’est parce que je peux être en relation avec moi-même, que je peux être en relation avec l’autre, sans m’y confondre !
C’est aussi ce que m’a montré mon séjour chez Guss. La famille blaireau a fait preuve d’une grande générosité, et j’ai pu être en relation avec eux sans ce réflexe qui était mien de m’oublier moi même, de « fusionner » dans la relation. Et qu’est-ce que c’est bon d’être Soi, un être unique, indépendant tout en étant relié aux autres et à l’Univers !
J’ai envie de continuer à apprendre à aimer et aider, Antoine, Brigitte, peut être Louise, sans attendre en retour cette illusion d’amour, qui m’a fait courir de genoux en genoux toute mon enfance.
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je suis dans la dépendance affective